Monday, January 19, 2009

La GFP : un outil lumineux pour la recherche en biologie

Alors le choix du premier article est un peu difficile. J’ai un peu la trouillecomme avant un examen et en même temps, l’excitation de vous parler de quelque chose qui me semble intéressant, comme avant de faire une conférence ou un cours. Je voudrais vous parler aujourdhui de la GFP. Cela me semble un bon début et un clin d’œil à mon parcours scientifique qui a commencé lui-aussi par de la chimie et qui montre que ces deux sciences chimie et biologie sont bien imbriquées l’une à l’autre.


Un prix Nobel pour la GFP
Les chercheurs Martin Chalfie, Osamu Shimomura and Roger Y. Tsien ont été récompensés par l’attribution du Prix Nobel de Chimie en octobre dernier [2008] pour leur découverte de la protéine fluorescente verte GFP (pour Green Fluorescent Protein).
http://nobelprize.org/nobel_prizes/chemistry/laureates/2008/info.html

Pour la petite histoire de leur découverte je vous invite à aller lire ceci http://www.larecherche.fr/content/actualite/article?id=24081
Une information qui date me direz-vous pour les plus initiés ?…oui, mais est-ce que vous connaissez vraiment toutes les potentialités de cette découverte ?


La GFP... qu'est-ce que c'est?

La GFP : une protéine de méduse
La GFP est une protéine qui existe depuis plus de 160 millions d’années chez la méduse Aequorea Victoria à la base de ses tentacules. Les éclats brefs et lumineux des méduses des fonds marins visent généralement à repousser un prédateur, piéger une proie ou séduire un partenaire. Ces comportements sont servis par plusieurs protéines, notamment par la GFP mais on ne connait pas avec exactitude son rôle.
Source de l’image : Nature 440, 280 (16 March 2006) doi:10.1038/440280a The bright side of life Thomas G. Oertner

La GFP, naturellement verte fluorescente

La GFP est intrinsèquement fluorescente verte. C'est-à-dire quelle n’a pas besoin d’autre chose pour devenir verte au contraire d’une autre protéine fluorescente contenue dans cette petite méduse, l’aequorine qui, elle, ne fluorescera qu’en présence double de calcium et d’une autre substance, la coelentrazine. Par rapport également à la luciférase des lucioles, la GFP n’a pas besoin d’énergie (ATP), de magnésium et de luciférine pour fluorescer.

La GFP : petite et possède un cœur costaud
De petite taille, 238 acides aminés [une unité de mesure des protéines], sa forme tridimensionnelle en tonneau lui permet de protéger son cœur fluorescent de tout dommage chimique. La GFP peut être excitée par 2 longueurs d’ondes : l’une dans les UV (395 nm), l’autre dans la lumière bleue (475 nm) ; par conséquent, c’est sous lumière bleue ou UV que la GFP apparaît verte. Ce n’est donc pas cette GFP que vous voyez sur la photo de la méduse plus haut, mais juste ici le phénomène due à la lumière réfléchie du flash du photographe. C’est entre autre cette petite taille et cette aptitude à protéger son cœur fluo qui a séduit les Nobélisés.

La GFP verte a fait des petits de toutes les couleurs
Le laboratoire de Roger Y. Tsien ainsi que les entreprises de biologie moléculaire, ont ‘’retravaillé’’ sur la GFP et ont créé des protéines fluorescentes non seulement vertes avec une intensité plus forte, la EGFP (pour Enhanced Green Fluorescent protein) mais ont aussi développé un large éventail de couleurs fluorescentes (cyan, jaune, rouge,…). De très jolies couleurs ! Source : http://www.conncoll.edu/ccacad/zimmer/GFP-ww/tsien.html

La GFP … c'est beau, c'est vert, mais à quoi ca sert ?
Pour la recherche en biologie, des animaux (poisson, souris, rat, lapin…) ont été modifiés génétiquement. Le but est de faire exprimer la GFP à certaines de leurs cellules. Ainsi, si le gène de la GFP est inséré en un lieu approprié, il pourra conférer la couleur verte à, selon, des neurones, des cellules cancéreuses, ou même à la pigmentation entière de l’animal. Ce qui aidera, par exemple, à comprendre comment un organe ou un tissu se développe, à analyser les différentes parties du gènome, de suivre les localisations cellulaires de certaines protéines, le guidage axonal des neurones, les transplantations tissulaires, etc.
Vous trouverez ci-dessous certaines des méthodes et des exemples de recherches récentes qui utilisent cet outil merveilleux pour la recherche en biologie.


Insérer dans le génome, le gène de la GFP conferera une couleur verte et permet une visualisation des protéines

Les protéines sont les acteurs incontournables des cellules. C’est grâce à elles que tout –ou presque- fonctionne ou dysfonctionne dans une cellule. C’est donc en étudiant leurs fonctions et leurs rôles que les chercheurs arrivent à mieux comprendre comment fonctionne ou dysfonctionne certaines cellules dans un état normal ou dans un état pathologique par exemple.
Les protéines sont en général des molécules extrêmement petites et non visibles, même sous des microscopes perfectionnés (figure A). Par contre, la GFP est verte et visualisable. Alors, si la GFP est « attachée » à une protéine, et bien, ce vert pourra être visualisé (figure B). Sachant que ce vert est « attaché » à la protéine choisie, on peut pratiquement dire que l’on voit la protéine en question !
Idée de génie !! La GFP permet donc ‘’l’étiquetage’’ de la chose recherchée (protéine en général).

Un petit poisson…une petite lapine… ? s’aimaient d’a…
Des petits zebrafish verts comme sentinelles de surveillance de pollution aquatique
Des chercheurs ont modifié le génome du zebrafish pour lui conférer une couleur verte afin de l’utiliser comme indicateur de pollution aquatique. A titre d’exemple, le gène de la GFP a été lié à un gène qui est sensible aux métaux lourds et positionné dans les cellules de pigmentation du poisson. Du coup, si le poisson vit dans une eau riche en métaux lourds, il deviendra vert. Méthode simple, sensible, pas très chère et réversible puisqu’après rétablissement ou assainissement de l’eau, les petits zébrafish redeviendront comme avant la pollution. Evidemment, me direz-vous, si vous avez compris jusqu’ici, il faudra éclairer ces petits poissons de façon spéciale. Et bien oui ! Juste un petit échantillonnage de ces poissons, voire même un petit enclos (avec des barrières en filet pour que l’eau passe) par-ci par là dans la zone d’eau à étudier et hop, la surveillance de la qualité de l’eau est aisée.
Profitant de cet avantage esthétique, GloFish est maintenant une marque déposée de poissons zèbres modifiés génétiquement, et ravit certains aquariophiles (http://www.glofish.com/).
A gauche, couleur normale d’un poisson zèbre ; à droite couleur verte d’un GloFish.

La GFP entre même dans le bio-art
Sur le même principe, Eduardo Kac, artiste brésilien contemporain de bio-art, a créé un lapin fluorescent vert, une lapine prénommée Alba et plus connue sous le nom de « GFP Bunny ». Ci-contre la photo de cette lapine éclairée à la lumière UV, sinon elle est blanche. Source de la photo http://www.ekac.org/french.html




Insertion dans le génome de la GFP et visualisation possible des protéines: comment ?
Comment étiqueter la protéine de notre choix avec la GFP? Et bien en ‘’liant’’ ou fusionnant le gène de la GFP au gène de la protéine de notre choix.
Pour passer de l’ADN à une protéine de no
mbreuses étapes sont nécessaires (voir figure A).


Très schématiquement, l’ADN va être transcrit en une autre molécule, l'ARNm qui, à son tour, va être traduit en protéine, grâce à de petites unités traductrices appelées ribosomes. Ces petites structures (les ribosomes) suivent le plan de montage contenu dans l’ARNm et assemblent dans le bon ordre les acides aminés qui composent les protéines. Pour en savoir plus, je vous invite à visiter le site http://www.cite-sciences.fr/lexique_biologie/
Maintenant, si une cellule est modifiée génétiquement pour exprimer le gène de la GFP "à la suite" du gène de notre intérêt, lorsque ce dernier s’exprimera et sera traduit en protéine, celui de la GFP qui lui est lié, le sera aussi (voir figure B).
Ce qui revient à dire que cette protéine fluo verte est attachée à la protéine de notre intérêt ou à dire à l’inverse, puisque c’est la GFP qui est visible, que la protéine de notre choix est étiquetée avec la GFP.


La GFP : une petite molécule qui va partout ou presque
Cette GFP
est tellement petite qu’elle peut aller dans les cellules de toute petite taille comme les neurones et leurs prolongements très fins.D'autre part, même si notre protéine d’intérêt est ‘’allongée’’ de la GFP, cela ne changera pas sa fonction ; les chercheurs font des vérifications quand-même… D’autre part, la GFP est tellement petite quelle peut aller dans les cellules de toute petite taille comme les neurones et leurs prolongements très fins.
Ici, photo d’une cellule de Purkinje cervelet de souris. Le gène de la GFP est fusionné, c’est-à-dire ‘’lié’’ à celui de la calbindinequi n’est présente que dans cellules de Purkinje du cervelet. La GFP permet la visualisation de ces larges neurones.
Source : userwww.sfsu.edu/.../BMDC-GFP-Purkinje.jpg


La GFP dans la recherche sur le cerveau...pour étudier quoi ?
J’ai choisi de vous parler de deux études qui utilisent la GFP et qui tentent de répondre à certaines des questions fondamentales de Neurosciences.


L’un des challenges les plus ambitieux des Neurosciences est d’essayer de comprendre comment le cerveau fonctionne. Non seulement, le cerveau est organisé en différentes régions, mais il est également composé de nombreuses cellules variées. Et même si l’on ne s’attache à parler que des cellules les plus connues, c’est-à-dire : les neurones (qui ne font que 15% du total des cellules du cerveau, les autres 85% étant majoritairement les cellules gliales, notons le tout de même), de nombreuses informations nous échappent pour l’instant. En vrac : Comment ces circuits neuronaux sont-ils organisés ? Comment se développent-ils exactement ? Comment peuvent-ils être affectés par des maladies ? Pourquoi les neurones se comportent-ils de manière différente ? Comment les différencier ? ...
Afin de vous faire mieux partager ce que la GFP peut apporter à la science du cerveau, j’ai choisi de vous parler de deux études qui utilisent la GFP et qui tentent de répondre à certaines des questions fondamentales de Neurosciences énoncées plus haut.

Les petits colorés de la GFP : des outils afin de déterminer comment le cerveau est câblé
A quoi ca sert ? A comprendre comment les réseaux neuronaux sont faits par exemple. Pour quelles applications ? Par exemple, afin de comprendre comment le ‘’câblage’’ se transforme au cours du vieillissement (visuel, auditif…), ou au cours de certaines maladies psychiatriques (schizophrénie...).
Jean Livet* et ses collègues ont réussi
à faire exprimer par des neurones précis voisins une teinte de couleur fluorescente différente. Comment ? Il ont modifié le génome de souris pour leur faire exprimer des combinaisons aléatoires de ces protéines fluorescentes.
Comme avec une pa
lette de peintre en utilisant que 3 ou 4 protéines fluorescentes différentes (un jaune, un rouge, un bleu et un vert), les couleurs se combinent au hasard, et produisent des variétés de teintes -quasi uniques à chaque neurone. Ce neurone peut alors facilement se différencier de son voisin. Les images visualisées ont permis d’isoler jusqu'à cent neurones côte à côte !!



Regardez le résultat ! Outre l’impression que certaines sont sorties d’un gros plan d’une peinture de Klimt, ces images magnifiques sont belles et bien prises sous un microscope ! Ces souris ont d’ailleurs été nommées Brainbow – contraction de Brain et Rainbow (arc-en-ciel) et serviront donc à comprendre le câblage des zones ainsi touchées.
*Il est depuis peu à Paris http://www.fondave.org/-Equipe-de-J-Livet-.html, et a développé ce travail lorsqu’il était en post-doctorat à Harvard, dans l’équipe de Joshua R. Sanes.
En haut: Neurones du cortex
En bas à gauche: Jonctions neuromusculaires ; les parties en fluo sont le neurones, les parties rouges sont les muscles.
A droite: Trajet de neurones dans le tronc cérébral.
Sources: Livet et al. Nature, (450) 1st nov 2007. Lichtman, Livet et Sanes, Nature Reviews Neuroscience, june 2008 (9) 417-422

La GFP permet la fabrication d’un atlas répertoriant tous les gènes du système nerveux central et leur localisation cellulaire précise : le projet GENSAT
A quoi ca sert ? A comprendre quelles protéines sont exprimées dans quelles catégories cellulaires du cerveau. Dans quel but ? Selon les méthodes de recherche, il peut être extrêmement intéressant de savoir que telle protéine est exprimée dans les cellules de ce genre-ci mais pas dans les cellules de ce genre-là. Pour quelles applications ? Afin de comparer diverses maladies, d’être certain d’avoir isoler les bonnes cellules, etc.

Les chercheurs de ce projet
http://www.gensat.org/ ont utilisé le même procédé que plus haut : l’insertion de la EGFP dans le génome. Sauf que là, ils l’ont fait pour TOUS les gènes du système nerveux central du génome de la souris. Du coup, chaque gène du cerveau a été fusionné avec la EGFP.
Ensuite, ils ont fait des coupes de cerveau de ces souris et ont regardé où était localisée la couleur verte fluo. Ils ont pu faire des parallèles, ‘’tiens tel gène s’exprime dans les neurones de telle région’’, ‘’tel gène dans les cellules gliales’’, ‘’tel gène partout’’, ‘’tel gène dans certains neurones sur deux régions’’ etc. Ils ont donc par ce biais, réussi à produire un genre d’atlas qui répertorie les gènes du système nerveux central et leur localisation cellulaire précise.
Déjà pas mal comme information, cela renseigne entre autre sur la spécificité des gènes et des catégories cellulaires en question.

Par exemple, ici, le gène « x » est le gène CamK2a [nom barbare !, je vous épargne la signification…]. Il n’est exprimé dans le cervelet que dans les cellules de Purkinje. Source :
http://www.gensat.org/daily_showcase.jsp

La GFP permet de développer une nouvelle méthode pour attraper les gènes qui vont être exprimés dans une cellule d’un genre donné dans le cerveau : la méthode TRAP
A quoi ca sert ?
C’est tout neuf, ca vient de sortir…les espoirs sont donc grands. Théoriquement, cette méthode pourrait prétendre à pouvoir comparer dans une cellule d’un genre donné du cerveau [tous les neurones et toutes les cellules gliales pourraient faire également l’objet de cette nouvelle méthode] un panel d'animaux sains et modèles de maladies neurologiques par exemple afin de comprendre les processus sous-jacents à ces changements.

Maintenant, avant de comprendre la suite, il faut bien comprendre le rôle des ribosomes (voir Insertion dans le génome de la GFP et visualisation possible des protéines: comment ? plus haut) : celui de former les protéines à partir d’un ARNm.

Plus fort maintenant, ces mêmes chercheurs ont raisonné à partir du constat suivant : à un moment ou à un autre les ARNm sont attachés aux ribosomes. Connaissant les résultats du projet GENSAT (expliqué juste ci-dessus), ils ont ‘’étiqueté’’ les ribosomes des catégories cellulaires précises avec la EGFP. Du coup, les ribosomes des cellules précises de notre intérêt sont verts. Maintenant, sans avoir à effectuer de régionalisation particulière ou de dissection très complexe, ils peuvent donc récolter tous les ribosomes et les différencier des autres, grâce à leur étiquetage vert. Ils n'auront plus qu'à détacher l’ARNm qui était dessus et à l’analyser pour comprendre quelles protéines allaient être traduites dans ces cellules particulières, ici et à titre d'exemple les cellules de Purkinje du cervelet.



Quelle différence les résultats de la méthode TRAP ont-ils avec le projet GENSAT ?
Au lieu de prendre tous les gènes et de regarder où ils s’expriment, ici, ils ont pris les cellules et ont regardé ce qu’elles expriment…Non seulement ils ont confirmé les résultats de l'étude GENSAT, mais ils ont en plus, trouvé un grand nombre d’autres gènes. De plus, et ils le montrent à titre d’exemple, de la même façon, ils ont étudié le profil d’expression de neurones spécifiques de souris traitées à la cocaïne et observé que les gènes exprimés dans ces différents neurones n’étaient pas les mêmes ; démontrant ainsi une sensibilité des résultats jusqu’alors impossible et donc du coup impressionnante.

sources: Doyle JP et al., 2008, Cell. 2008 Nov 14;135(4):749-62 ; Heiman M et al., Cell. 2008 Nov 14;135(4):738-48.

Voila, vous l’aurez compris, qu’elle serve à visualiser des cellules, qu’elle devienne outil pour tester la pollution aquatique ou établir des atlas du cerveau, la GFP, après avoir médusé (ah, ah !) les biologistes, est devenue un outil quasi indispensable des chercheurs de nos jours.

Voili, voilu, on termine par du ardu...j’espère que vous reviendrez pour le prochain blog !